Attendu depuis des mois de par sa notoriété sur le continent, et même à l’échelle mondiale, le coup d’envoi de cet Euro atypique est enfin arrivé, censé célébrer ce qui se devait d’être l’édition centenaire de la compétition. Capital, cet évènement est attendu de pied ferme en Espagne, sans ignorer les dangers inquiétants qui pèsent au dessus de sa sélection.
La Roja est à l’aube d’un défi bien plus que sportif, qui compte aussi pour son honneur. Redorer le blason après l’humiliation de 2014 et les échecs de 2016 et 2018, toutes marquées par la transition avec la génération dorée qui a inscrit son nom dans les livres d’histoires. Néanmoins, cette période de changements ne semble pas entièrement achevée aujourd’hui et maintient l’Espagne dans une position instable avant d’affronter la Suède, la Pologne et la Slovaquie en phase de poules de l’Euro. C’est avec de l’envie qu’une sélection largement rajeunie par rapport aux précédentes tentera de briller à nouveau, sous la houlette de Luis Enrique, entre espoirs et craintes. Entre nécessité de triompher et crainte d’un nouvel échec…
Un contexte de préparation angoissant
Difficile de trouver un contexte plus anormal que celui que le football connait depuis une année désormais. Reporté, cet Euro a tout d’une édition qui ne sera pas comme les autres, même jusque dans les sélections. L’Espagne fait partie de ces équipes dont les journalistes ont beaucoup parlé depuis quelques jours. Et pour cause, l’ensemble du staff technique et des joueurs Roja ont dû être placés à l’isolement après que Sergio Busquets ait été testé positif. Chose d’autant plus inquiétante que la nouvelle tombait seulement deux jours après l’amical disputé face au Portugal, terminé sur un terme match nul et vierge.
Réunie depuis le 31 mai avec une liste de 24 joueurs, sur la limite des 26 autorisée par l’UEFA, la convocation de l’équipe nationale espagnole a complètement été chamboulée. La Fédération attend de voir l’évolution du rétablissement du milieu barcelonais, tout en sachant que les chances de pouvoir compter sur le joueur semblent minimes mais pas inexistantes.
Dès lors, plusieurs mesures ont été prises et 6 joueurs ont été contraints de paralyser leurs vacances pour rejoindre l’expédition à Madrid, afin uniquement de se joindre aux entraînements de la sélection parallèlement. Ainsi, Brais Méndez, Carlos Soler, Rodrigo, Pablo Fornals, Raúl Albiol et Kepa ont répondu favorablement à Luis Enrique. Aussitôt, des entraînements de manière individuelle ont été instaurés, malgré la répétition de tests négatifs de la part du reste de l’équipe. On apprendra toutefois dans la nuit du mercredi 9 juin que Diego Llorente a également été testé positif, obligé de quitter momentanément la concentration à son tour, dans un chaos absolu. Deux jours plus tard, les médias de communication officiels de la Roja communiqueront que le défenseur central de Leeds était faux positif, ayant été testé négatif sur les derniers tests PCR réalisés, et serait réintégré au groupe.
Assiégée par les médias, la Selección a dû composer avec un environnement oppressant et presque insupportable par moment. Il faut dire que la formation de Luis Enrique était en proie aux critiques depuis plusieurs jours de par l’unanimité qu’elle génère fortement sur les terres ibériques. La bulle sanitaire et médiatique, presque sacralisée tant elle est importante pour les sportifs, n’aura pas eu l’effet désiré, perturbant ainsi le rythme de préparation de l’Espagne. En effet, la mise en isolement de l’ensemble de La Furia a eu des conséquences sur le match amical programmé contre la Lituanie, le mardi 8 juin. Cette rencontre a finalement été disputée par les joueurs de l’équipe U21, mais officiellement sous le titre de la sélection nationale absolue ! En plus de nombreux records qui sont tombés, le score a surtout été le reflet de la qualité d’une sélection talentueuse, victorieuse 4-0 de la formation lituanienne.
Au final, ces 6 joueurs ont été rejoints par 11 autres en provenance de la sélection U21 pour maintenir les entraînements individuels en parallèle, en prévision d’autres détections de cas positifs. Il faut préciser que l’Espagne aura jusqu’au début de la compétition pour prendre une décision sur le cas de Busquets, et éventuellement le remplacer. La volonté de Luis Enrique et de la sélection est en tout cas de tout mettre en œuvre pour pouvoir compter sur celui qui est le capitaine de l’équipe durant l’Euro. Une fois substitué de la liste officielle, un joueur ne pourra plus participer durant le reste du tournoi. Susceptibles de faire une croix sur ce qui est parfois perçu comme un rêve à tout moment, joueurs et staff font logiquement preuve d’une nervosité nuisible à la préparation de la sélection, aussi source de tensions internes. Pour couronner le tout, la sélection suédoise annonçait de son côté la détection de deux cas positifs à moins d’une semaine d’affronter l’Espagne.

Pendant ce temps, le Ministre de la Culture et des Sports espagnol est monté aux créneaux pour soutenir les joueurs en déclarant qu’ils seraient vaccinés en urgence, avant le début de l’Euro. Mesure officialisée ensuite par la Ministre de la Santé, déclarant que les joueurs seront vaccinés avec le ‘Vaccin Janssen’, pour la plupart des membres de la sélection, à seulement trois jours de leur rencontre d’ouverture. Polémiques et débats se sont alors déclenchés en Espagne, pour ne rien arranger au déroulement de cette préparation. Une partie importante de la population s’est sentie inégale et indignée de voir que les sportifs semblaient privilégiés dans ce dossier.
Dans le même temps, la RFEF se lamentait de ce moment délicat en interne, ne comprenant pas pourquoi le gouvernement n’avait pas vacciné la sélection, avant le début de la concentration. Le président de la Fédération, Luis Rubiales, laissera apparaitre des nouvelles divergences dans les versions en soutenant qu’il avait fait une demande pour vacciner la sélection depuis 2 mois… quand le gouvernement explique avoir eu une première discussion sur le sujet avec lui la semaine précédant le regroupement des joueurs.
C’est d’ailleurs dans cette même ambiance médiatique qu’Aymeric Laporte, grande nouveauté de cette liste, voyait un journaliste l’interroger sur son amour et sa fidélité à réellement défendre le maillot espagnol. Une question qui pèse lourd dans un climat déjà trop anxiogène auquel le défenseur de Manchester City a parfaitement répondu, tout en laissant transparaitre son étonnement : « Je suis enchanté d’être ici, je vais tout faire pour défendre ce maillot ». L’interrogation du journaliste n’a pas manqué de déclencher de nouvelles tensions en Espagne quant à l’utilité et l’objectif d’une telle remarque, sûrement déplacée.
Autre changement qu’il convient de préciser, bien que moins impactant sur la sélection : le changement de la ville hôte de la sélection. A quelques semaines du coup d’envoi de la compétition, l’UEFA a finalement décidé d’attribuer l’accueil de la compétition en Espagne à l’Estadio de la Cartuja, basé à Sevilla, et qui pourra accueillir entre 15 000 et 20 000 spectateurs, annulant par la même occasion l’accord conclu avec l’Estadio San Mamés, de Bilbao. La mairie basque a reçu en échange une somme de compensation pour rembourser une partie des installations et aménagements effectués dans la ville depuis des années à cette occasion. La Roja évoluera donc dans le stade avec lequel la Fédération a conclu un accord commercial puisqu’il est devenu l’enceinte officielle de la sélection mais aussi des finales de Copa pour les prochaines saisons.
Avec un seul match pour régler les détails et permettre aux joueurs de mieux se coordonner, la préparation s’apparente quasiment à un fiasco. Dans une période où le jeu de la Roja est parfois brouillon et où les choix de joueurs ne sont pas encore clairement fixés, la tournure des évènements est bien loin d’être idéale et avantageuse aux Hispaniques, avec un même message qui ne cessait d’être lu partout ces derniers jours : « Alerta en la Selección« . Des zones d’incertitude peut-être trop grandes à quelques jours d’une semaine du début d’un tournoi aussi crucial que l’Euro qui inquiètent et angoissent l’Espagne, d’autant plus face à la mauvaise gestion d’une telle situation qui rappelle étroitement celle de 2018.
Luis Enrique, l’homme de la discorde
Si un homme ne parvient pas à faire l’unanimité au sein de la sélection espagnole, il s’agit bien de son représentant principal : Luis Enrique. Le sélectionneur divise supporters mais aussi médias et journalistes, et la situation ne semble pas être propice à un apaisement. L’Espagne et son football semblent plus fracturés que jamais, bien loin de l’union sacrée qu’est censée incarner une sélection lors de rassemblements internationaux.

Cependant, les critiques dont est victime l’ancien entraîneur du Barça ne sont pas récentes et ont des explications, mais s’accroissent depuis un temps avec danger. La liste des joueurs retenus pour disputer l’Euro n’a pas aidé Enrique à se réconcilier avec l’opinion d’une grande majorité des supporters, le maintenant dans une position relativement inconfortable. Les choix déçoivent et ne sont pas compris.
Le principal absent est évidemment et sans conteste le capitaine historique de cette équipe, Sergio Ramos. Le central du Real Madrid a vécu une saison compliquée avec les Merengues, sans cesse touché par les blessures qui ne lui auront permis que de disputer seulement 4 rencontres officielles en 2021. Au-delà de la qualité, c’est le leadership du personnage qui pourrait manquer à une sélection plutôt novice, qui se cherche et appréhende encore les grands moments. Désolé de l’absence de Ramos, Enrique s’est justifié en conférence de presse en assurant que le manque de temps de jeu du leader espagnol avait pesé dans la balance pour prendre cette lourde décision.
Discutée mais compréhensible, la non-sélection de Ramos ne fait pas autant polémiquer que celle de joueurs tels que Mario Hermoso, Iago Aspas, Sergio Canales, Jesús Navas ou encore Nacho, auteur d’une superbe seconde partie de saison, qui ne s’expliquent pas. Le flou du sélectionneur pour apporter une réponse à ses choix ne satisfait pas les supporters et agace même profondément. Autre fait marquant de cette liste : aucun joueur madrilène n’y figure. C’est une première dans une compétition internationale et officielle que dispute l’Espagne, un tremblement de terre médiatique qui n’a pas manqué de faire parler dans les journaux.
Faut-il y voir des raisons personnelles pour Luis Enrique de ne sélectionner aucun joueur du Real Madrid ? L’ancien entraîneur du Barça est en tout cas pointé du doigt et n’a jamais vraiment justifié les absences de Nacho ou Asensio de la liste initiale. La polémique est d’autant plus forte que parmi les joueurs appelés en renfort, aucun ne provient du club blanco. Certains reprochent à Enrique un manque d’objectivité et de neutralité qui nuirait à la sélection, étant trop influencé par son ancien passage au FC Barcelona, et donc qui pourrait se montrer hostile à la sélection de footballeurs de la Casa Blanca. Vrai ou non, plus largement, c’est l’ensemble des choix qui questionne.
Si Luis Enrique a pu faire appel à Aymeric Laporte, nationalisé espagnol sportivement quelques jours auparavant, le sélectionneur n’a pu être épargné des remarques des médias mais surtout des amateurs du ballon rond. Entre ironie et rire nerveux, c’est surtout l’inquiétude et le manque de clarté autour des choix pour composer cette équipe qui font peur au public espagnol. Enfin, le choix de sélectionner 24 joueurs sur les 26 possibles n’est pas forcément partagé.
Initialement présentes sur les réseaux sociaux et dans les journaux, les critiques se sont multipliées et ont pris une autre dimension. Un cap a été franchi au Wanda Metropolitano quand l’Espagne recevait dans un match amical, le vendredi 4 juin, la sélection portugaise. Alors que le speaker annonçait l’ensemble des titulaires et remplaçants du côté espagnol pour cette rencontre, le nom du sélectionneur a copieusement été sifflé par le public. Symbole des fractures et divergences dont Luis Enrique semble être devenu aujourd’hui le responsable. Cet évènement s’ajoute à la liste de ceux qui nuisent à l’environnement médiatique autour de la sélection espagnole, dont l’image s’est beaucoup ternie au cours des derniers jours… Luis Enrique devra en plus faire face à une situation exceptionnelle avec des joueurs ou membres de son staff pouvant potentiellement être amenés à subitement quitter la sélection.
Toutefois, le sélectionneur a tenu à organiser une conférence de presse le jeudi 10 juin afin de clarifier la situation. Evoquant l’actualité sanitaire mais aussi sportive de la sélection, Luis Enrique s’est montré très confiant et rassurant devant les médias tout en reconnaissant que la préparation n’était pas optimale.
De la qualité mais aussi des incertitudes
Dans une sélection nationale espagnole, les bons, voire très bons, joueurs ne peuvent pas manquer. Historiquement, la Roja a toujours été une des meilleures équipes d’Europe en s’appuyant sur un réservoir de footballeurs très qualitatif. L’Euro 2020 ne fait pas exception à la règle, mais l’effectif composé par Luis Enrique amène aussi beaucoup d’interrogations. Si l’occupation de certains postes est clairement définie, d’autres le sont beaucoup moins.
La première incertitude se trouve à un poste aussi crucial que celui du gardien de but. Installé dans les cages hispaniques depuis novembre, Unai Simón sort d’une saison irrégulière avec l’Athletic où il a alterné parades décisives et erreurs. Le but concédé contre le Kosovo venait d’une sortie absolument ratée de sa part, mais Luis Enrique maintient pour le moment sa confiance envers le portier basque. De Gea, lui, est plus expérimenté, mais semble anéanti mentalement depuis un temps et dans la difficulté de se relever, aussi récent perdant de l’Europa League. Enfin, Robert Sánchez est nouveau depuis mars. Auteur d’une saison prometteuse avec Brighton, le natif de Cartagena, semblait pouvoir s’emparer du poste de titulaire selon les rumeurs. Incertitudes pour le staff de la sélection, mais aussi, et logiquement, au sein de la population espagnole. Un remaniement complet des joueurs était sollicité par le public à ce poste, avec notamment les noms de Remiro, Asenjo ou encore Pacheco qui ressortaient à la suite de leur bonne saison dans leur club respectif.
La défense centrale préoccupe légèrement car, sans Ramos, l’esprit du vestiaire n’est plus le même. Laporte et Pau Torres semblent être les favoris pour jouer, mais Eric García ou Diego Llorente paraissent être à un niveau inférieur pour assurer une titularisation à ce poste. Les couloirs sont bien garnis, avec notamment le positionnement de Marcos Llorente comme arrière droit que beaucoup de supporters auraient préféré voir dans un rôle plus offensif ou au milieu de terrain, comme sous les ordre de Simeone à l’Atlético. A noter, le retour de César Azpilicueta qui n’avait plus joué en sélection depuis la fin 2018. Quant à eux, et sans surprise, Gayà et Alba tiendront le couloir gauche de la défense.
Le milieu est extraordinairement talentueux pour sa part et n’a pas besoin d’être changé quand on y retrouve des joueurs comme Koke, Pedri, Thiago, Busquets ou encore Fabián Ruiz. Pour l’attaque, la qualité ne manque pas même si beaucoup d’autres joueurs auraient pu être appelés. Préféré par le sélectionneur, Morata ne semble toutefois pas faire l’unanimité à la pointe de l’attaque espagnole, d’autant plus après ses nombreuses imprécisions contre le Portugal, et nombreux sont les supporters qui aimeraient davantage voir Gerard Moreno. Enfin, malgré l’absence douloureusement regrettée d’Iago Aspas, les ailiers convoqués rassurent et ont en eux un fort potentiel bien représenté par la jeunesse : Dani Olmo, Oyarzabal, Adama Traoré, Ferran Torres, même si la présence de Pablo Sarabia est quant à elle plus contestée.

Reste désormais à coordonner cet ensemble pour tenter d’obtenir des résultats satisfaisants, avec la maitrise du jeu. C’est ce qui a parfois manqué à l’Espagne de Luis Enrique avec des victoires poussives, comme en Géorgie, ou bien des faux pas désagréables contre la Grèce et la Suisse. La défaite contre l’Ukraine en octobre avait fait tâche bien qu’il s’agisse du dernier revers de la sélection jusqu’à aujourd’hui. On note depuis une victoire écrasante contre l’Allemagne (6-0) ainsi qu’un succès contre le Kosovo (3-1), dans un bilan plutôt mitigé ou du moins qui ne tend pas forcément à directement rassurer.
Dans une période difficile et mouvementée, l’Espagne se présente donc à l’Euro 2020 où faire un bon parcours, avec la manière, s’est imposé comme quelque chose de vital pour l’histoire du sport hispanique. Avec l’envie de retrouver la gloire passée, le chemin est encore long et semé d’embûches, mais aussi d’incertitudes et de divisions qu’il faudra tenter d’éliminer durant le tournoi. Mais la Roja n’est pas n’importe quelle sélection et sait de quoi elle est elle-même capable. La jeunesse manque peut-être d’expérience mais assurément pas d’envie, et c’est ce qu’il faut retenir. Le défi est clair et important, renaître de ses cendres ou s’effondrer à nouveau.